Le 2 août 1914, à l’annonce de la mobilisation, le photographe Charles Lansiaux quitte son atelier du quatorzième arrondissement pour capter les mouvements de foule vers les gares, l’euphorie, l’émotion, bientôt les séparations et les départs. Non mobilisable – il est né en 1855 -, il réitère ses excursions les jours suivants et, dès le mois de septembre 1914, il a l’intuition que ses photographies formeront une série, un récit en images sur le long terme, qu’il intitule « Aspects de Paris pendant la guerre » et qu’il poursuit pendant tout le conflit. Seconde intuition, il propose à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris d’acquérir des épreuves de ses clichés, comme autant de témoignages sur ce que la photographie peut restituer, mieux que toute autre source documentaire, de la vie quotidienne et de l’état d’esprit des Parisiens. Il s’attache à saisir des changements à peine perceptibles à première vue, comme l’absence d’hommes ou de voitures dans une rue, des signes manifestes comme la présence d’uniformes de divers pays aux terrasses des cafés, ou encore les stigmates que sont les cratères creusés par les obus.
La bibliothèque lui achète près de mille épreuves entre 1914 et 1918. Dans cette série sur la vie parisienne, on sent, par la diversité des sujets et la liberté de ton, qu’il s’agit avant tout pour le photographe d’un projet personnel, qu’il vend afin d’en assurer la préservation. Il dote ses épreuves photographiques montées sur carton de légendes autographes, de ton humoristique, ironique, parfois critique. Il se fait ainsi connaître de la Commission du Vieux Paris, dont il devient un des photographes attitrés de 1916 à 1921, effectuant les prises de vues de l’inventaire des immeubles remarquables : le Casier archéologique créé en 1916 par la municipalité. Certains de ces travaux de commande traitent des effets de la guerre sur le patrimoine urbain, qu’il s’agisse des dégâts des bombardements ou de l’enlaidissement des monuments par l’abus d’affichage.
Dans les débuts de sa carrière, Charles Lansiaux avait contribué au développement technique de la photographie instantanée et aux progrès de la vitesse de prise de vue, dans le même courant que Janssen, Marey ou les frères Lumière. Il met à profit cette maîtrise technique dans ses photographies prises pendant la guerre dans la rue, sur le vif, même si l’on peut déceler par ailleurs des effets de composition dans certaines séquences reconstituées à l’aide de figurants qui réapparaissent de scène en scène.